Dorian

Pour une fois sur ce blog, j'avais envie de mettre un peu plus l'accent sur Dorian, le petit frère de Lucas, et de tourner la caméra de son coté à lui et insister sur l'impact que peut avoir la maladie d'un enfant sur la fratrie.
Tout d'abord, je ressitue le contexte :

Lorsque Dorian est né, Lucas avait deux ans et demi. Je m'étais arrêté au 5e mois de grossesse car j'avais des contractions mais surtout j'avais envie de profiter de cette grossesse. Je ne pouvais plus porter Lucas qui faisait son poids. Je me demande s'il n'a pas angoissé à ce moment là car nous l'avions tellement choyé sa première année, nous étions tellement fusionnels ( Je rapelle qu'il avait été malade jusqu'a ses un an et demi à cause de la malformation rénale et des infections urinaires à répétitions, voire des pyélonephrites qui avaient nécessité sa première intervention à 18 mois pour le remaniement des uretères)

Donc cela faisait un an que Lucas n'avait pas été malade. La semaine précédent l'accouchement, Papou et Mamou sont venus à la maison pour s'occuper de lui : changement d'habitudes, changements de rythme et plus de maman à la maison.

Dorian est né tranquillement. Je l'ai allaité un peu mais j'étais fatiguée. Lucas n'était toujours pas propre, buvait encore le biberon de lait et forcément le voulait en même temps que la tétée de son frère. Je m'arrangeais pour tout faire en même temps mais c'était pénible.

Lucas était très prenant, très exclusif et l'arrivée de ce petit frère se passait moyennement. De mon côté,je le vivais comme une vampirisation et interprêtais son 37°5- 37°9 pour du psychosomatique.
J'avais l'impression de me débattre entre eux deux. Je trouvais que Lucas m'empêchait de m'occuper et de choyer son petit frère. J'ai décidé d'arrêté d'allaiter et de sevrer Dorian car c'était trop compliqué.

Le fébricule à continué, une petite gène, un petit mal au ventre et je mettais tout ça sur l'arrivée de Dorian. Pour la visite du premier mois de Dorian, j'ai quand même demandé au pédiatre si le fait d'avoir un rein ralenti chez Lucas ne provoquait pas de pâleur, S'il n'y avait pas un lien de cause à effet. Sa réponse fut négative.

Le fameux 37°6-38° durait toujours jusqu'au jour où Lucas resta plié en deux sans pouvoir se redresser et blanc comme un linge. J'ai chargé les deux enfants dans la voiture: Lucas deux ans et demi et Dorian un mois et après un coup de fil au pédiatre, en avant pour l'hopital de Carcassonne.

Lucas a passé en urgence des examens pendant que je laissais Dorian aux bons soins de la secrétaire de pédiatrie (Sabine) qui l'a surveillé et lui a donné le biberon en attendant que je remonte de la radio avec Lucas.
A la vue des radios, le pédiatre se doutait de quelquechose et m'a dit qu'on allait transférer Lucas à Toulouse. J'ai donc prévenue mon mari Dominique et lui demandé de venir dès qu'il pouvait. Une heure après, il récupérait Dorian (je rappelle un mois et demi) pour le déposer chez ses parents à 40 km au delà de Toulouse chez qui cohabitait ma belle soeur enceinte de 5 mois de Sarah.

Domi nous a rejoint, Lucas et moi aux urgences de l'hopital des enfants. Quelques examens avaient été fait et nous avons vu pour la première fois le docteur Anne-Isabelle Bertozzi (AIB) qui le plus doucement possible nous a annoncé que Lucas avait un néphroblastome. Je n'ai revue mon cadet que 4 jours après. Temps pendant lequel Lucas à eu sa chambre implantable au bloc et ses première séances de chimio. Au bout d'une semaine nous avons pu sortir. Nous avions la possibilité d'être hébérgés nous aussi chez les grands-parents paternel (ma mère étant hospitalisée à 500m de Lucas pour une arthrodèse) et de ce fait Lucas pouvait avoir ses chimio en ambulatoire. Pendant ce temps Dorian était aux bons soins de sa tante et elle assurait aussi les nuits du bébé pour que je puisse gérer Lucas. Je ne voyais que très peu le petit car mon attention était centrée sur Lucas. Au bout d'un mois et venue le temps de l'intervention chrirurgicale pour enlever la tumeur réduite et durcie en espérant sauver le rein car c'était le bon ( l'autre ne fonctionnait qu'a 30% ). Nous sommes restés 10 jours en chirurgie. Je ne passais que très peu la main auprès de Lucas et suis restée pratiquement toutes les nuits avec lui. Dorian restait avec sa tante, son oncle et son papa avait du reprendre son travail très rapidement et n'étais donc pas très là. Pour Dorian, malgré tout l'amour qu'il a pu avoir autour de lui, je suis persuadée que cette période a du augmenté sa peur de l'abandon. Lucas continuait ses séances de chimio 3 à 5 jours par semaine. Ce n'est qu'au bout de trois mois depuis le diagnostic que nous avons pris la décision de rentrer chez nous. J'ai un trou de mémoire !! je ne me rapelle pas qui gardait Dorian pendant que nous étions à l'hopital des enfants avec Lucas. Que la personne concernée veuille bien me pardonner car je mélange avec la tumeur cérébrale)... Au quotidien, comme Lucas était souvent en aplasie, on ne sortait pas beaucoup, reçevait peu et lorsque c'était nécéssaire Lucas portait un masque de protection quand je n'avais personne pour le faire garder lorsque je partais faire les courses.

Le traitement de Chimio a duré en tout 9 mois, et il a fallu compter deux ans de plus avec des visites tout les mois puis ensuite tout les deux, puis trois, puis six mois à l'hopital de Toulouse.

De ce fait la sociabilisation de Dorian s'est basée autour de la maladie et cette espèce de paranoïa du germe. Lucas, comme a son habitude maintenait la lumière et l'attention sur lui; Dorian se tenait en retrait, dans un milieu clos. Avec les traitements et les chirurgie, la fuite devant les épidémies de varicelle, Lucas n'a pu être scolarisé qu'a 4 ans. Jusqu'a lors , à cause du risque de varicelle, Dorian ne pouvait pas non plus aller en crèche. Nous restions donc tout les trois à la maison, prison dorée. J'ai attendue les trois ans de Dorian pour reprendre le travail,car il m'a bien fallu un an avant de me reconstruire et j'ai pu faire ma dépression post partum...

Dorian a pu rentrer à l'école à trois an demi (ce qui est quand même assez tard), j'avvais pris un mi-temps en maison de retraite puis je me suis remise au libéral, une semaine /mois (80h la semaine). Ca me laissait trois semaines avec les enfants.Dorian s'est révélé quelqu'un de timide, peu confiant, craignant l'abandon avec du mal a communiquer avec les autres enfants. Une grande amitié s'est créer avec le petit Paul, parfois a tendance exclusive, qui le rassurait et le dynamisait. Dans la cour, son frère était toujours là pour le défendre contre les autres (il n'y avait que lui qui avait le droit de l'embêter et il jouait à fond son rôle de grand frère protecteur).

Le lien avec la maladie était tout de même présent : les visites à Toulouse pour contrôler la fonction rénale de Lucas et la dialyse en épée de Damoclès, la surveillance d'une possible réminiscence de la tumeur et les visites hebdomadaires chez le pédopsychiatre. J'emmenai aussi Dorian chez ce dernier, ça faisait pas de mal.

Petit à petit tout s'est réequilibré jusqu'au jour où Lucas a retrouvé son papa en faisant un début d'hémiplégie dûe à l'hémorragie cérébrale et après une crise de grand mal épileptique et un coma dans le camion des pompiers. C'était un jour où je travaillais, Domi était seul, il a appelé en catastrophe la dame qui nous gardait les enfants de temps en temps : mamie Josy, a laissé Dorian à ses bons soins et est parti avec Lucas chez le médecin, puis l'hopital via les pompiers, puis le samu. Je les ai rejoints en cours de parcours et le pédiatre nous annoncé le transport d'urgence en hélico vers Toulouse. Je ne sais pas ce qu'a fait Domi, ni où était Dorian ni qui s'en chargeait. Je crois qu'il l'a pris et l'a déposé chez ses parents à nouveau ?? Lucas était en Réa.

De nouveau démarrait le circuit des intrerventions (4 en moins d'un an), des cures de radiothérapie, de chimiothérapie, les aplasies, les crises d'épilepsie, tout ça liée à la dégénérescence cérébrale de Lucas au fil des mois, sa dépendance, sa perte d'autonomie puis sa déchéance, son accompagnement de fin de vie et de soins palliatifs de plus de 4 mois.

Dorian agé de 6 ans a assisté à tout ça, sans rien dire, sans faire de bruit. Les appels des pompiers en catastrophes après des crises d'épilepsies trop violentes lorsque l'oedeme cérébral a trop augmenté, crises qui se manifestaient par des vomissements en jets, des pertes de connaissances, des hallucinations...), les toilettes de son frère adulé au lit, le portage à quatre mains pour l'emmener à la baignoires, les systèmes D pour créer un matelas de séchage ( Lucas ne pouvait plus avoir de position au delà de 30° car sinon il perdait connaissance , il fallait donc qu'il soit tout le temps à plat, il avait tellement mal au dos et au bassin qu'on ne pouvait pas le plier). Et Dorian entendait ses cris de douleurs après une fausse manipulation ou les séances de kiné.

Je dormais avec Lucas pour prévenir et gérer les crises ( a force je les sentais arriver) et Dorian dormait avec son papa.

Dorian a vu l'arrivée du fauteuil roulant, puis du lit médicalisé, puis des nutripompes, pousses seringues et poches à urine, les premières escarres, les sondes, la mort.

Un livre de pédopsy a pour titre "tout ce joue avant 6 ans". Les 6 ans de Dorian se sont bâties autour de la maladie, du cancer et de la mort. Je comprends qu'il puisse avoir des tendances hypochondriaques.

Récemment ( dorian a maintenant 9 ans et demi) son grand-père lui a donné des boules en plomb d'un roulement à bille, il m'a demandé s'il ne pouvait pas avoir de cancer avec le plomb. Je connais peu d'enfants de son âge qui pourrait avoir ce genre de questionnement. Ce n'est pas la première fois qu'il se questionne sur les risques qu'il pourrait avoir sur sa santé.

Dorian est devenu quelqu'un qui observe et attend que les autres fassent le premier pas vers lui.

Il mérite d'être connu car c'est un petit garçon calme, attachant bien qu'un peu délicat. De nature très angoissé, il a besoin d'un cadre fixe et des repères forts afin de se sentir à l'aise. Ce stress lui a déjà déclenché plusieurs crises d'herpès et de pelade de stress. Il n'aime pas la violence, les conflits ni les sports de contact.

Il aime apprendre et s'enrichir de connaissances de toutes sortes; c'est un créateur très imaginatif.

Malgré une personnalité forte, il reste tout de même en dehors de la majorité des enfants de son âge et de leurs centre d'intérêts. Ce manque apparent d'initiative et de spontaneité peut déstabiliser certains adultes (certains très proches) qui peuvent le perçevoir comme "éteint" . Lucas était la lumière et Dorian a le pouvoir de se rendre invisible. Il a tout de même réussi à se construire de façon noble malgré son manque de confiance en lui. Doucement , il s'ouvre aux autres et à la vie.

Dorian , 9 ans et demi, commence a vivre comme un fils unique "normal" et non plus comme un frère endeuillé.

J'espères avoir donner des eléments de compréhension de ce petit garçon qui me reste et avoir envie à cetains d'aller un peu plus loin dans sa découverte, au delà des apparences et des clichés d'enfants de son âge.